Quand les poupées d'amour révèlent l'âme japonaise : plongée dans une culture à contre-courant
Et si l’objet inanimé avait bel et bien une âme ? En Occident, l’idée semble saugrenue. Mais au Japon, elle s’inscrit dans une longue tradition où spiritualité et quotidien se rejoignent. Deux livres nous invitent à changer de regard : "Moderne sans être occidental" de l’historien Pierre-François Souyri et "Un désir d’humain. Les love dolls au Japon" de l’anthropologue Agnès Giard. Leur objectif : nous faire comprendre un pays que l’on juge souvent étrange simplement parce qu’on le regarde avec nos propres lunettes culturelles.
Quand la modernité japonaise n’a rien d’européenne
Souyri et Giard choisissent deux angles radicalement opposés pour aborder l’âme nippone : l’un observe l’histoire politique et intellectuelle de haut, l’autre plonge dans le quotidien intime. Mais tous deux avertissent : comprendre le Japon implique de désapprendre certains réflexes occidentaux.
Souyri rappelle que notre grille d’analyse reste tributaire d’une vision eurocentrée. Un exemple frappant : à la conférence de Potsdam, en 1945, les Alliés n’arrivent pas à traduire un mot clé du système japonais : kokutai, ce principe politique fondé sur l’empereur. Faute de comprendre, ils prennent des décisions qui mèneront à Hiroshima. C’est dire si les mots, et la culture qu’ils véhiculent, comptent.
Les love dolls, ou l’amour sans jugement
Agnès Giard, elle, nous entraîne dans l’univers déroutant des love dolls japonaises. Non, il ne s’agit pas simplement de sextoys de luxe. Ai dôru, en japonais, signifie « poupée d’amour ». Pour ceux qui les adoptent (le mot est important), elles ne sont pas qu’un objet sexuel mais un compagnon émotionnel, voire un miroir de soi.
Giard observe que dans une société shinto-bouddhiste, les objets peuvent avoir une âme. Les poupées sont habillées, écoutées, respectées. Loin des clichés occidentaux, le regard qu’elles portent compte plus que l’organe sexuel. Certaines n’ont d’ailleurs pas de vagin. Un adoptant, Nishimaki Tôru, témoigne : « Je ne peux plus avoir de rapports avec elle. Son regard me confronte à la cruauté de mon propre désir. »
Le choc des imaginaires
Les Japonais prêtent une âme aux objets. Nous, nous les jetons. Un fossé culturel béant que Giard explore avec finesse. Elle rapporte l’histoire d’un blogueur vivant avec sa poupée Mahoro. Un jour, dit-il, elle a bougé. Faut-il le croire ? Tout dépend de votre système de pensée.
En Occident, un objet transitionnel est un doudou. Au Japon, il est un partenaire de vie. Cette différence, Churchill et Truman l’ignoraient. Comme tant d’autres avant et après eux.
Le Japon, moderne à sa façon
Souyri montre que le Japon a intégré la modernité sans renier son passé. Dès le XIXe siècle, il envoie des intellectuels s’imprégner de la pensée des Lumières. Mais l’objectif n’est pas l’imitation : il s’agit de prendre ce qui est utile tout en préservant l’âme japonaise. En témoigne cette formule d’un nationaliste de l’époque : « Les Occidentaux descendent peut-être du singe. Nous, nous descendons des dieux. »
Quand l’objet devient œuvre
Ces deux livres obéissent à un principe fondamental de l’esthétique japonaise : un objet doit être beau. Le fond et la forme y sont indissociables. C’est ce qui fait leur force et leur légitimité.
Conclusion : et si c’était nous, les incompris ?
L’Occident se pense encore comme l’unique berceau de la modernité. Mais face aux ai dôru ou au kokutai, ce sont nos certitudes qui vacillent. Peut-être est-il temps de décentrer notre regard, d’accepter que des poupées puissent consoler, qu’un objet ait une âme, et qu’un pays tout entier vive selon une autre logique que la nôtre.
Love Dolls et Kokutai : une plongée dans l’âme japonaise
Quand les poupées d'amour révèlent l'âme japonaise : plongée dans une culture à contre-courant
Et si l’objet inanimé avait bel et bien une âme ? En Occident, l’idée semble saugrenue. Mais au Japon, elle s’inscrit dans une longue tradition où spiritualité et quotidien se rejoignent. Deux livres nous invitent à changer de regard : "Moderne sans être occidental" de l’historien Pierre-François Souyri et "Un désir d’humain. Les love dolls au Japon" de l’anthropologue Agnès Giard. Leur objectif : nous faire comprendre un pays que l’on juge souvent étrange simplement parce qu’on le regarde avec nos propres lunettes culturelles.
Quand la modernité japonaise n’a rien d’européenne
Souyri et Giard choisissent deux angles radicalement opposés pour aborder l’âme nippone : l’un observe l’histoire politique et intellectuelle de haut, l’autre plonge dans le quotidien intime. Mais tous deux avertissent : comprendre le Japon implique de désapprendre certains réflexes occidentaux.
Souyri rappelle que notre grille d’analyse reste tributaire d’une vision eurocentrée. Un exemple frappant : à la conférence de Potsdam, en 1945, les Alliés n’arrivent pas à traduire un mot clé du système japonais : kokutai, ce principe politique fondé sur l’empereur. Faute de comprendre, ils prennent des décisions qui mèneront à Hiroshima. C’est dire si les mots, et la culture qu’ils véhiculent, comptent.
Les love dolls, ou l’amour sans jugement
Agnès Giard, elle, nous entraîne dans l’univers déroutant des love dolls japonaises. Non, il ne s’agit pas simplement de sextoys de luxe. Ai dôru, en japonais, signifie « poupée d’amour ». Pour ceux qui les adoptent (le mot est important), elles ne sont pas qu’un objet sexuel mais un compagnon émotionnel, voire un miroir de soi.
Giard observe que dans une société shinto-bouddhiste, les objets peuvent avoir une âme. Les poupées sont habillées, écoutées, respectées. Loin des clichés occidentaux, le regard qu’elles portent compte plus que l’organe sexuel. Certaines n’ont d’ailleurs pas de vagin. Un adoptant, Nishimaki Tôru, témoigne : « Je ne peux plus avoir de rapports avec elle. Son regard me confronte à la cruauté de mon propre désir. »
Le choc des imaginaires
Les Japonais prêtent une âme aux objets. Nous, nous les jetons. Un fossé culturel béant que Giard explore avec finesse. Elle rapporte l’histoire d’un blogueur vivant avec sa poupée Mahoro. Un jour, dit-il, elle a bougé. Faut-il le croire ? Tout dépend de votre système de pensée.
En Occident, un objet transitionnel est un doudou. Au Japon, il est un partenaire de vie. Cette différence, Churchill et Truman l’ignoraient. Comme tant d’autres avant et après eux.
Le Japon, moderne à sa façon
Souyri montre que le Japon a intégré la modernité sans renier son passé. Dès le XIXe siècle, il envoie des intellectuels s’imprégner de la pensée des Lumières. Mais l’objectif n’est pas l’imitation : il s’agit de prendre ce qui est utile tout en préservant l’âme japonaise. En témoigne cette formule d’un nationaliste de l’époque : « Les Occidentaux descendent peut-être du singe. Nous, nous descendons des dieux. »
Quand l’objet devient œuvre
Ces deux livres obéissent à un principe fondamental de l’esthétique japonaise : un objet doit être beau. Le fond et la forme y sont indissociables. C’est ce qui fait leur force et leur légitimité.
Conclusion : et si c’était nous, les incompris ?
L’Occident se pense encore comme l’unique berceau de la modernité. Mais face aux ai dôru ou au kokutai, ce sont nos certitudes qui vacillent. Peut-être est-il temps de décentrer notre regard, d’accepter que des poupées puissent consoler, qu’un objet ait une âme, et qu’un pays tout entier vive selon une autre logique que la nôtre.